Pour 6 000 ukrainiens de chez nous, Noël a sonné le 7 janvier

Cet article évoque la célébration de la fête de Noël des exilés ukrainiens à Lille. Une fête qui est célébrée le 7 janvier selon le calendrier Julien. Au programme : liturgie et chants byzantins, coutumes traditionnels, repas, danses… et nostalgie de l’exil.
Afin d’en faciliter la lecture, l’article a été retranscrit dans son intégralité. Date et source inconnues.

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Ce sont des exilés, ils sont venus chez nous par vagues successives, depuis le début du siècle, et en ce dimanche des « Rois » c’est Noël qu’ils fêtent selon l’ancien calendrier de leur rite byzantin. C’est dans la vieille église lilloise de Notre-Dame de la Réconciliation qu’ils chantent la naissance du Christ, magnifiquement, comme chantent les slaves, guidés par leurs deux maîtres qui se répondent : le professeur Stephan SEMENIUK, qui fut un des grands musiciens de Lviv, et leur prêtre : le père NAROZNIAK qui dépend de Rome et a trouvé accueil à l’évêché de Lille. Car de leur grand pays de blés et de steppes, tant de fois piétinés entre la Pologne, la Roumanie, la Russie et la mer Noire, les Ukrainiens n’ont rien ramené si ce n’est leurs costumes brodés et leurs icônes peintes : assez pour se souvenir…

Des chœurs anciens aux accents nostalgiques, d’où s’échappe, très pure, la voix des sopranos ; l’Iconostase, ce curieux paravent peint d’images pieuses et qui selon le rite quasi-oriental, sépare le chœur en deux ; des cierges enrubannés ; une croix de planches où le Christ est peint (il n’y a pas de statues dans les églises byzantines) ; les images brodés de saint Vladimir Le Grand et de sa grand-mère, sainte Olga qui évangélisèrent en 988 l’Ukraine.  Voici le décor inattendu dans lequel les ukrainiens ne s’agenouillent pas mais se prosternent et communient sous les deux espèces. La messe finie, les fidèles vont allumer des cierges au pied de sainte Olga et le prêtre referme les battants de la porte de bois incrustées d’émaux de l’Iconostase. La messe de Noël a duré une heure un quart.

Des mets rituels du repas de Noël, la « Koutia », gâteau fait de blé concassé bouilli, mélangé de blé, d’amandes, de grains de pavots et arrosé de miel, a été remplacé ici par le pain français et le miel, que selon un rite très ancien, un homme doit porter à table. L’ayant partagé après l’avoir béni, le prêtre l’offre lui-même à toute la grande famille ukrainienne et à ses hôtes. Lorsque le repas sera terminé, la pièce sera nettoyée avec un très grand soin, car si l’ange du Seigneur entre dans la maison, il verra son chemin et trouvera tout dans une propreté et un ordre parfaits. Entre chaque plat, hommes et femmes se lèvent pour chanter : « Là-bas en Ukraine, l’église s’élève elle a trois coupoles. Par la première fenêtre, le soleil est entré. »

En habits de fête, Katherine et la jeune soliste se préparent à faire revivre pour nous les danses cosaques endiablées. Elles portent couronnes de fleurs et gilets de velours sur corsages brodés à la mode roumaine. L’Ukraine, influencée par la Pologne, la Roumanie et la Russie, tour à tour oppresseurs et amies, semble avoir pris de tous les pays slaves, ce qu’il y a de plus beau.

En Ukraine, la fête de Noël, purement religieuse, dure 3 jours, pendant lesquels, de loin en loin dans les villages, des chœurs d’hommes et de femmes se répondent. Il n’y a pas de messe de minuit. Quand la première étoile apparaît au ciel, le repas familial commence. C’est en souvenir de cette coutume que tous les exilés se sont rassemblés en la salle des fêtes de la maison des œuvres à Lille. Pour la plupart ouvriers du textile de Roubaix, de Lille et de sa banlieue, mineurs de Lens, de Libercourt, Béthune, Arras, ou ouvriers agricoles, ils sont venus rêver de l’Ukraine en mangeant ensemble les plats consacrés par la tradition. Certes, il n’y avait pas de paille par terre, ni de gerbe de blé devant l’icone, mais dans les bols, servis par les filles joyeuses, la soupe « Borcht » et les boules de choux au riz (Holoutsi) dites « les petites colombes », le gâteau à l’huile d’œillette et le thé… Le père, vrai père de la famille ukrainienne, allait de l’un à l’autre, et beaucoup pleuraient lorsqu’il évoquait la patrie lointaine, et que le professeur SEMENIOUk remercia la France, cet hôte libre et fraternel, près duquel les réfugiés oublient le froid et la peur. Nous étions peu de Français admis à ce festin vraiment familial, que présidait M. le chanoine RENARD, envoyé du Cardinal et la sympathie que nous lisions dans les yeux graves de ces êtres aux visages encore marqués par la souffrance, n’était pas feinte.

En France, on oublie parfois ce que peut  représenter le nom même de notre pays. Les Ukrainiens nous en rappelaient le sens, doucement, en chantant, et la qualité de leur joie grave, recueillie, nous pénétrait. M. l’abbé DEPREESTER la traduisit en quelques notes simples et l’espoir que le message de Noël, répercuté d’écho en écho, de l’Orient jusqu’à nous, parut à tous en pleine lumière, chargé d’espérance. Pour nous plaire et pour leur joie propre, ensuite, Irène, Katherinie, Vladimir et leurs frères, dépouillèrent leurs manteaux qui cachaient leurs habits de fête et se mirent à danser et à chanter ensemble pendant que le vent faisait voler dans un ciel devenu bleu, les rubans aux couleurs ukrainiennes.

Geneviève Dermech. (Photos Nord France, de R. Tollens)

(Source et année inconnues)