DANS LE NORD PAS-DE-CALAIS

CES UKRAINIENS DU NORD

L’immigration ukrainienne dans le Nord de la France remonte vers la fin des années vingt, lorsqu’une première vague de ressortissants d’Ukraine occidentale, poussée par l’espoir d’une vie meilleure, est venue travailler dans les Flandres, l’Artois, le Cambrésis.

Les années 20 – ces Ukrainiens arrivés avec un passeport polonais

Saisonniers munis d’un contrat, pensant revenir sur leur terre natale après quelques années de labeur, la plupart d’entre eux ont été embauchés dans les usines textiles, les houillères, l’industrie sucrière, l’exploitation agricole. Jeunes immigrés ruraux âgés de 16 à 30 ans, coupés de leur patrie, ils étaient souvent considérés comme des citoyens polonais, car à cette époque la Galicie occidentale, d’où provenait la plupart d’entre eux, était rattachée à la Pologne, suite au traité de Saint-Germain-en-Laye de 1919.

Ces immigrés déploieront néanmoins une activité sociale et culturelle sous la tutelle de l’Union Populaire Ukrainienne, dont le siège social se situait à Paris. Ainsi dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, des associations comprenant en moyenne de vingt à trente membres verront le jour à Rosendael-Dunkerque, Lomme, Le Cateau, Libercourt, Tigny-Noyelle, Barlin, Labourse, Méricourt, Croisilles, Sallaumines, Saint-Pol-sur-Ternoise. Parallèlement à cette association, il existait aussi l’Union des citoyens ukrainiens (UCUF), d’obédience communiste dont les filiales du Nord étaient à Roubaix, Denain et Libercourt.

La guerre – des étrangers engagés

A la veille de la Seconde guerre mondiale, ces Ukrainiens seront mobilisés dans l’Armée Polonaise, mais beaucoup préfèreront intégrer la Légion étrangère qui les regroupera en sections ukrainiennes distinctes des autres nationalités.

D’autre part, parmi les prisonniers de guerre soviétiques ukrainiens parqués dans une dizaine de camps à proximité des mines, où ils travaillaient, un certain nombre rejoindront la Résistance. Le lieutenant Vassyl Poryk, s’illustrera au sein d’un groupe d’évadés du camp de Beaumont-en-Artois, en réalisant des actes de guérilla urbaine, sabotages, destructions de pont et de convois militaires ennemis. Un imposant monument funéraire, érigé en 1963 au cimetière d’Hénin-Beaumont, rappelle le sacrifice de ce combattant. Ce monument a été réalisé par les sculpteurs ukrainiens de Kiev Valentin Znoba et Halyna Kaltchenko. André Pierrard, qui combattit dans la Résistance, lui dédiera son premier roman Le jeune homme à la rose . Un film de fiction, Les Prisonniers de Beaumont, sera réalisé en Ukraine par Youriï Lyssenko en 1970, relatant les exploits de guerre de ce combattant qui deviendra héros national.

1945 – L’arrivée de déplacés et une nouvelle communauté apparaît

C’est avec l’afflux de personnes déplacées d’Europe qu’une nouvelle vague d’immigrés ukrainiens se retrouve dans le Nord de la France dès 1945. Rien que dans la région lilloise, on en dénombre près de deux mille vers la fin des années 40.

Des cercles de l’Union des Travailleurs ukrainiens en France, affiliés à la CFTC, sont créés dans les villes de Lille, Roubaix, Lens, Béthune, Arras, Bapaume, Le Cateau, Oignies, Denain. Dans ces mêmes villes se créeront des filiales de l’organisation émule – l’Alliance Nationale ukrainienne.

Les articles parus à l’époque dans la Voix du Nord, la Croix du Nord et Nord Eclair, confirment une présence d’associations culturelles et de groupes d’artistes amateurs ukrainiens, notamment à Lille et à Roubaix. Ces ensembles donnent des galas de chants et de danses folkloriques pour le public français qui découvre une nouvelle culture slave.

Le plus connu d’entre eux, L’Echo de l’Ukraine, dirigé par Stépan Semeniuk, est une formation mixte d’une cinquantaine de choristes, qui donnera entre 1947 et 1954 plus de 300 représentations dans les départements du nord et de l’est de la France ainsi qu’en Belgique. A ce chœur était rattaché un ballet du même nom, constitué de douze danseurs, sous la direction de Catherine Hosejko.

Ce ballet participa au tournage du film Natalka Poltavka, tiré de l’opérette éponyme d’Ivan Kotlarevskyi. Ce film en couleur réalisé par le metteur en scène de théâtre et de cinéma Boris Dniprovyj obtiendra la médaille de bronze du Festival du film amateur de Cannes en 1955.

L’Echo de l’Ukraine enregistrera aussi à la RTF régionale de Lille des chants de Noël, dont il sera tiré plusieurs disques. Répondant à de nombreuses sollicitations, L’Echo de l’Ukraine sera de toutes les cérémonies commémoratives nationales et accompagnera les liturgies de rite byzantin dans plusieurs dizaines d’églises de France et de Belgique. La majorité des membres de l’Echo de l’Ukraine résidait à Roubaix et à Tourcoing, où s’était concentrée la plus grande communauté ukrainienne du Nord. Les spectacles se déroulaient dans la salle Chez nous, rue Rocroi, notamment les pièces de théâtre tirées du répertoire classique ukrainien, les fêtes nationales, mais aussi les réveillons, les bals populaires animés par un orchestre dirigé par Roman Kostyrka et Trophyme Matiuk.

Dans les années 60, l’apprentissage de la langue ukrainienne était dispensé aux enfants par Catherine Hosejko, le jeudi après-midi, dans une salle de l’église Sacré-Cœur à Roubaix.

Elle dirigea parallèlement jusqu’au début des années 70 une compagnie de danse de jeunes filles qui donna de nombreuses représentations dans les villes du Nord.

 

 

LE PERE ZINOVIJ NAROZNIAK A L’ORIGINE DE …

…la paroisse gréco-catholique de Lille

Avec l’arrivée du Père Zinovij Narozniak, une paroisse ukrainienne de rite gréco-catholique s’organisa à Lille en 1948 et obtint son lieu de culte dans la crypte de la cathédrale Notre-Dame de la Treille. L’aumônier y installera l’une des plus belles iconostases de France, enrichie de broderies, de paramentique et d’objets de culte de valeur.

Carte postale

Sa première mission fut de repérer les fidèles dispersés de Dunkerque à Maubeuge, en passant par Béthune et Lens jusqu’à Amiens. Il sillonna cette vaste région et regroupa les fidèles afin de les encourager à se rassembler et à pratiquer leur rite.

Pour alléger sa tâche, il reçut, en 1961, l’aide d’un prêtre auxiliaire, le Père Damian Tovstiuk, coopté pour s’occuper des fidèles de Roubaix et dispenser aux enfants des cours de catéchisme. Damian Tovstiuk quittera la France pour l’Allemagne en 1966.

Zinovij Narozniak organisa plusieurs fois des expositions sur l’Eglise gréco-catholique ukrainienne, dite Eglise du silence. Dans la cathédrale de Lille, il accueillera en 1970 le chef spirituel de l’Eglise gréco-catholique ukrainienne, le cardinal Joseph Slipyi, libéré quelques années auparavant d’un bagne du Goulag.

C’est toujours dans la Cathédrale de la Treille que se tiendra la célébration du Millénaire du baptême de l’Ukraine en 1988. En prévision de cet événement, Zinovij Narozniak eut quatorze entretiens radiodiffusés sur Fréquence-Nord à Lille en 1980. Ces entretiens furent publiés dans l’opuscule De Kiev à Senlis .

…un centre de vacances à Le Cateau

©Maria DENESSENKO

Alors que la région Nord Pas-de-Calais devenait une véritable plaque tournante pour ces milliers de migrants partant vers le nouveau monde jusque dans les années 60, Zinovyi Narozniak cherchera à fédérer toutes les associations culturelles ukrainiennes du Nord Pas-de-Calais. Il créera dans un premier temps, un centre de colonie vacances dans une propriété située à Le Cateau, acquise grâce aux dons des Ukrainiens de la région. C’est là que se retrouvera pendant deux décennies la jeunesse d’origine ukrainienne qui sera initiée à la langue ukrainienne et à l’Histoire de l’Ukraine, mais encore aux chants populaires et liturgiques, à la broderie et à la danse folklorique. Cette action pédagogique générera un sentiment propice à l’enracinement de la conscience nationale héritée de leurs géniteurs.

Dans cette propriété dotée d’une église et d’un couvent hébergeant des sœurs Bénédictines belges de rite byzantin, vivaient des collégiennes et lycéennes qui constituèrent le chœur Les Alouettes, dont la particularité était de chanter la liturgie kiévienne et des chansons contemporaines d’Ukraine. Ce chœur, unique en son genre en France, donna plusieurs représentations dans la région du Nord.

©Maria DENESSENKO

POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE CENTRE DE LE CATEAU

… le Centre Culturel Saint-Vladimir à Lille

Zinovyi Narozniak fondera ensuite à Lille le Centre Culturel Saint-Vladimir, où, jusqu’à sa mort en 2001, se dérouleront les manifestations majeures de la diaspora locale : séminaires, expositions, conférences, cours d’ukrainien, fêtes traditionnelles.

En septembre 2001, le Centre Culturel Saint-Vladimir sera ravagé par un incendie. Le Père Narozniak qui vivait à l’étage, succombera de ses blessures quelques jours plus tard. Une partie des archives, des objets de culte, la bibliothèque et la splendide collection d’icônes et de broderies périront dans l’incendie. Il faudra attendre décembre 2010 pour qu’un prêtre, le Père Ihor Nakonetchnyj, lui succède.

La vie intellectuelle de la diaspora

Dans plusieurs villes du Nord et du Pas-de-Calais la presse de la diaspora ukrainienne avait ses localiers qui envoyaient régulièrement des comptes rendus sur les événements aux hebdomadaires de Paris, La Parole ukrainienne (fondée en 1933) et L’Ukrainien (1947) de tendance indépendantiste, Nouvelles ukrainiennes (1925) d’opinion communiste dans les années 30.

Certains d’entre eux écriront leurs mémoires et les publieront. Ainsi, Grégoire Rominskyj qui vivait à Houplines publiera en ukrainien en 1984 Un chemin épineux, dont une édition française paraîtra en 2017 sous le titre De l’Ukraine à la France, Mémoires d’un déplacé (DP) dans l’Europe de la tourmente (1939-1945).

Un autre Ukrainien, Iwan Hryciw, qui vivait à Hem, publiera à Lviv (Ukraine) en 2000, un récit autobiographique L’Exil (en ukrainien, jamais traduit à ce jour) . Ces textes à caractère mémoriel sont davantage des récits ou journaux intimes sur le parcours de jeunesse et l’expérience vécue par leurs auteurs avant et pendant la Seconde guerre mondiale.

Dans le domaine de la recherche, un ingénieur ukrainien vivant à Dunkerque, Jean Verhun, s’est intéressé aux liens historiques et culturels entre l’Ukraine et Dunkerque . Plusieurs de ses articles ont été publiés en français et en ukrainien, notamment sur Anne de Kiev et les Cosaques d’Ukraine qui auraient pris part au siège de Dunkerque en 1645-1646 .

Dans le domaine des belles-lettres, La Maison de la Poésie Nord/Pas-de-Calais éditera en 1996 le recueil du poète dissident Ihor Kalynets, Le Couronnement de l’épouvantail , traduit de l’ukrainien par Roman Babowal.

les années 70 – les années brejnéviennes

Dans les années 70, les immigrés ukrainiens réagiront vivement à la glaciation brejnévienne (arrestations massives et déportations d’intellectuels et d’artistes ukrainiens). Un collectif de soutien aux dissidents et au Groupe ukrainien des Accords d’Helsinki sera créé à Lille par des étudiants de souche ukrainienne, Le cercle Valentin Moroz, en hommage à l’historien ukrainien qui purgeait à l’époque une peine dans les camps de Mordovie.

les années 80 – l’amorce d’une autre époque

En écho à la catastrophe de Tchernobyl en 1986 et aux premiers effets de la perestroïka gorbatchévienne, les différentes organisations ukrainiennes existantes se tourneront vers des activités humanitaires qui perdureront, pour certaines, jusqu’à nos jours.

Dans le cadre des relations économiques et culturelles entre la France et l’Ukraine soviétique, deux villes du Nord et du Pas-de-Calais ont été jumelées du temps de l’Ukraine soviétique. Deux grandes métropoles industrielles et universitaires, Lille et Kharkiv le furent en 1978 ; les villes minières d’Avion et de Sallaumines, en 1973, à la ville Thorezgrad dans le Donbas. Au cours du mois de novembre 2011, les maires de Kaniv et de Lambersart, Victor Mykolenko et Marc-Philippe Daubresse, ont signé une charte d’amitié qui unit ces deux villes.

Dans le domaine du sport, il est à noter que l’édition de 1994 de la course cycliste Paris-Roubaix fut remportée pour la première fois par un Ukrainien, Andreï Tchmil.

Après l’indépendance, une nouvelle histoire commence

Alors qu’une nouvelle vague d’immigrés ukrainiens, la troisième, s’est installée de manière discrète dans le Nord-Pas-de-Calais après l’indépendance de l’Ukraine, force est de constater que la rencontre avec l’ancienne diaspora, et donc avec les Français d’origine ukrainienne, s’est faite graduellement grâce aux événements de la Révolution orange en 2004-2005 puis de l’Euromaïdan en 2013-2014, par le biais de réseaux sociaux, de manifestations spontanées de soutien au peuple ukrainien, d’associations émergentes de promotion de la culture ukrainienne.

Lubomir Hosejko

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